(essayons un nouvel assaut)
Bonjour Kolia,
Parmi les trésors artistiques que l’on peut contempler dans les musées, y en a-t-il qui ont été produits par ce monde
moderne que vous cherchez à tout prix à sauver ?
Disons que je joue le jeu consistant à répondre à votre questionnement. En fait, votre idée paraît arrêtée.
Seulement, juste au cas où un aspect des choses aurait pu vous échapper, vous poserez tout de même la question. Vous en avez le droit bien sûr. Je ne critique pas. Mais vous serez difficile à convaincre.
Vous demandez un produit valable du monde moderne ? dans les musées ? Tout le développement de la peinture entre le XIXe et le XXe siècle. Il y a bien des tableaux modernes plus intéressants que des vieilles croûtes peintes il y a six cents ans. En matière de beau, je ne pense pas que le temps puisse faire quelque chose à l'affaire. Enfin, nous ne serions ici qu'en pleine subjectivité.
Après ? le fait que «le monde aimerait mieux manger des hot-dogs et parler fort, direz-vous, sans se préoccuper du lieu» est une
autre affaire. Personnellement, j'ai vu souvent aussi des visiteurs de la campagne, dans quelque sentier en sous-bois également,
bien plus intéressés par la musique pré-enregistrée dans leur appareil portatif que par le chant des petits oiseaux. Les gens seront les mêmes à peu près partout.
Vous disiez aussi :
Je ne m’interdis pas d’observer la réalité, de la regarder en face et de faire un raisonnement statistique, qui par définition ne tient pas compte des exceptions. Cela m’amène à conclure que la réalité est sombre.
Oui, vous développez un état d'âme que l'on pourrait qualifier d'atrabilaire, Kolia.
Vous voulez vous persuader qu'il n'y a
rien de bon dans le mode de vie urbain d'aujourd'hui. Si c'était si vrai, il faudrait nous expliquer pourquoi tant de gens préférent encore vivre en ville qu'à la campagne. Il y a énormément de gens, vous savez, qui choisissent le cadre que vous n'aimez pas. Je ne crois pas que c'est seulement la nécéssité du travail ou la survie qui y amènent les gens sur place.
Le détail :
Vous évoquiez le Lincoln Center, ce n’est pas générique, il n’y en a qu’un. Un lampadaire ou un abribus c’est
générique, mais c’est moche.
Vous pourriez le dire d'un abribus si vous voulez, mais ensuite des étables à la campagne, des poulaillers, des remises
de jardin ou des serres hydroponiques. Il est assez rare que ce qui est conçu pour être fonctionnel devrait se révéler
en même temps le marchepied pour s'élever spirituellement vers le ciel.
Le quotidien du citadin est bien d’avantage fait de lampadaires que de Lincoln Center. On ne fait donc pas en ville
l’expérience quotidienne de la beauté.
Mais l'on ne fait pas plus l'
expérience quotidienne de la beauté à la campagne qu'en ville. L'environnement vert et immédiat du campagnard a tôt fait de lui devenir aussi banal, morne, répétitif et ennuyant que n'importe quel intersection d'avenues en ville. On s'habitue à tout. Ce n'est pas l'émerveillement continu pour personne. Non pas à chaque jour. Le lieu importe assez peu, à moins de loger près du Grand Canyon d'Arizona.
Des réalités différentes
La nature sauvage et la concentration urbaine sont deux réalités distinctes. Il ne sert pas à grand chose de vouloir les comparer pour dire l'une meilleure que l'autre, comme s'il devait y avoir une rivalité (!) Ce serait un peu comme dire que le soleil c'est mieux qu'une fourchette de cuisine, ou encore que la vue du biotope ferait que l'on se sent «bien mieux» qu'à voir un poste d'essence ou une ambulance. Il dépend de l'heure, du jour, du besoin le plus urgent, etc. Le soleil ne sera pas d'un aide très grand pour avaler la soupe.
Mais ...
Je suis d'accord avec vous que
la nature ne dépend pas de l'homme et peut fort bien se passer des êtres humains, ce qui ne sera pas le cas de l'ingénierie citadine. Votre dichotomie, vous l'aurez ici.
Alors le Mal consisterait-il à vouloir s'extraire d'une dépendance à des cycles naturelles ? ce serait le fait de vouloir outrepasser nos capacités naturelles ? le fait de chercher une sécurité dans le seul fait du travail humain ? ce serait le fait d'un abus ? Précisez. Il est possible de critiquer des choses sans pour autant réclamer le retour à la situation d'il y a soixante mille ans, non ?