par Dubia » lun. 19 nov. 2018, 20:45
Veillez m'excuser pour avoir mis tellement de temps à répondre à votre question, cher Jean-Mic, mais c'est que je suis débordé de travail et n'ai donc que peu de temps.
Bon, vu que tout commence à s'embrouiller, je vais parler "Klartext", comme on dit si bien en allemand. Attention, ça va être un peu long.
Le Christianisme, en proclamant la Naissance de Dieu dans les fonds de la nature humaine, a permit au divin de devenir une expérience individuelle pour le croyant. En se révélant dans le corps d'un homme, Dieu pu pour la première fois s'exprimer à échelle humaine, le rendant ainsi beaucoup plus accessible au commun des mortels, ces derniers qui jusqu'à lors ne pouvaient être que plein de craintes et tremblements devant ce Dieu sans visage, distant et autoritaire de l'Ancien Testament. Ceci est d'autant plus que vrai que le Christ se présente toujours des plus inoffensifs, allant même jusqu'à payer de sa vie l'absolution des vices et péchés de l'humanité. Un Dieu qui ne venge, ni ne châtie plus les offenses à son égard, mais qui plutôt préfère les supporter et les subir n'est plus véritablement en mesure d'inspirer la crainte - si ce n'est de l'amour.
C'est précisément ce point là qui fait toute la différence avec l'Ancien Testament (AT) et qui constitue l'un des changements majeurs avec ce dernier. Dans le premier cas, l'homme accepte de se soumettre à Dieu par pur intérêt. En effet, le but du croyant dans les temps de l'AT se limitait encore très largement au bonheur terrestre. Un objectif qui ne sembla pas gêner outre mesure Dieu, puisque il se trouve que c'était également son plan déclaré d'amener son peuple dans une terre ou celui-ci pourrait mener une vie heureuse, faste et longue en années, ce qui se nomme dans le langage de l'AT la bénédiction. La vie après la mort ne se trouvait pas encore dans la ligne de mire du fidele (Ec 3, 20-22). Mais dans tout ça, il y avait une condition: la Loi.
Effectivement, la félicité ici-bas tant recherché par l'homme dépend du maintient de la Loi divine. Tel est en tout cas ce qu'affirme inlassablement Dieu dans les livres du Pentateuque (Lev 26, 3-12; Dtn 11, 8-32). Par l'accomplissement de la Lettre, le croyant soumet toutes ses actions à la volonté divine, et c'est seulement dans ce cadre qu'il aura droit d'espérer jouir de la vie. Qu'en est-il cependant de tous ceux qui s'aventurent à prendre des voies pas très pieuses pour arriver aux plaisirs de ce monde? Là-dessous, Dieu est sans équivoque (Lev 26, 14~33):
"
Mais si vous ne m'écoutez point, et que vous cessiez d'exécuter tous ces commandements; si vous dédaignez mes lois et que votre esprit repousse mes institutions, au point de ne plus observer mes préceptes, de rompre mon alliance, à mon tour, voici ce que je vous ferai: je susciterai contre vous d'effrayants fléaux, la consomption, la fièvre, qui font languir les yeux et défaillir l'âme; vous sèmerez en vain votre semence, vos ennemis la consommeront. Je dirigerai ma face contre vous, et vous serez abattus devant vos ennemis; ceux qui vous haïssent vous domineront, et vous fuirez sans qu'on vous poursuive. (...)
Je briserai votre arrogante audace, en faisant votre ciel de fer et votre terre d'airain; et vous vous épuiserez en vains efforts, votre terre refusera son tribut, et ses arbres refuseront leurs fruits. (...)
Je lâcherai sur vous les bêtes sauvages, qui vous priveront de vos enfants, qui extermineront votre bétail, qui vous décimeront vous-mêmes, et vos routes deviendront solitaires. (...)
Je ferai surgir contre vous le glaive, vengeur des droits de l'Alliance, et vous vous replierez dans vos villes; puis, j'enverrai la peste au milieu de vous, et vous serez à la merci de l'ennemi, tandis que je vous couperai les vivres (...)
. Vous dévorerez la chair de vos fils, et la chair de vos filles vous la dévorerez. Je détruirai vos hauts-lieux, j'abattrai vos monuments solaires, puis je jetterai vos cadavres sur les cadavres de vos impures idoles; et mon esprit vous repoussera. Je ferai de vos villes des ruines, de vos lieux saints une solitude, et je ne respirerai point vos pieux parfums. Puis, moi-même je désolerai cette terre, si bien que vos ennemis, qui l'occuperont, en seront stupéfaits. Et vous, je vous disperserai parmi les nations, et je vous poursuivrai l'épée haute; votre pays restera solitaire, vos villes resteront ruinées."
Le Dieu de l'Ancienne Alliance n'avait pas honte de montrer ses dents. En résumé et très superficiellement, il est donc possible de caractériser ce pacte conclut entre le peuple d'Israël et son Dieu comme une sorte de marché: tu te soumets, et je te rends heureux; tu te révolte, et je t'extermine. Choisis: la vie ou la mort (Dtn 30, 15-16).
L'amour de Dieu, ça se mérite.
Maintenant, dans le deuxième cas, celui du Nouveau Testament, nous rencontrons un Dieu qui se livre bras ouvert à la merci de toute la cruauté humaine, non sans être prêt à assumer le pire: la mort, et quelle mort d'ailleurs! Celle qui était en ces temps là réservé aux pires criminels.
En se décidant à subir pareille humiliation, en s'abstenant d'user de la plénitude de son pouvoir contre le plus injuste et immonde des traitements, et restant patient non pas jusqu'au coup de trop qui fait déborder le vase, mais bien plus jusqu'à la mort la plus noire, Dieu détruit sous nos yeux toute la base sur laquelle reposait l'Ancienne Alliance. Ainsi, tout cette édifice fondé sur la crainte de l'AT s'effondre et laisse la place à l'amour.
Mais ca ne s'arrête pas là. Un Dieu amoureux ne peut davantage nous assurer une vie confortable et prospère en échange de nos services. Le faire reviendrait à réduire notre amour à une prostitution. Dieu désire ici cependant être aimé gratuitement (Mc 10, 15; Jn 21, 15-18). C'est sous cette même perspective qu'il faut également comprendre le rejet de Jésus de toute tentative visant à théocratiser la royauté terrestre (Jn 18, 36). L'espoir de trouver sa terre promise n'est désormais tout au plus qu'une éventualité post-mortem. Dieu n'a plus rien à offrir à ce monde, si ce n'est le Sien.
C'est par la Croix que les masques tombent. Car maintenant que l'homme a plus grand chose à craindre de Dieu, cadavre qu'Il est sur sa croix, et qu'il ne tirera pas le moindre bénéfice séculaire pour sa foi, ce monde étant d'ores et déjà condamné, il est forcé, tel Job dans le fond son désespoir, à dévoiler la pensée la plus enfouie dans son cœur, dénuée de tout désir égoïste ou craintif, à l'égard de son Créateur. La fidélité à Dieu ne peut donc plus être garantie par un sentiment de frayeur ou d'intérêt, mais uniquement par la gratuité, l'amour.
Pourquoi aimer Dieu? Parce que Dieu est le seul dont l'amour serait capable de subir le mal qu'autrement le pécheur, et qu'il soit menteur, voleur, pervers, escroc, adultère, assassin, violeur, idolâtre, traitre ou mécréant, aurait mérité lui-même. En sacrifiant tout son pouvoir, Dieu prouve qu'il nous a crée pour nous aimer, pas pour nous exploiter. Le fiat qu'Il veut entendre de notre cœur doit par conséquent provenir du plus profond consentement de notre individualité - et l'individualité à l'état pur, ca s'appelle l'amour.
On se rend ici compte de l'un des aspects les plus révolutionnaires du Christianisme: Dieu est à consentir. Un fidele qui se soumet de force à Dieu ou qui y est forcé par autrui, n'est pas pleinement chrétien.
Enfin, nous arrivons maintenant au politique.
Nous avons pu constater que le Dieu des évangiles valorise principalement le consentement individuel à sa volonté, pourquoi ne pourrait-ce pas être le cas également de la politique? Après tout, si Dieu, qui est la référence suprême dans la vie d'un croyant, s'est vu prêt à le faire ainsi, pourquoi pas à plus forte raison ceux qui nous règnent?
Appliquons le christianisme à la politique, donnons à l'état la spiritualité des Évangiles, et nous avons le règne du consentement, c'est à dire la démocratie libérale. Voilà la thèse de Siedentop dans son livre paru en 2014 au titre suivant "
Inventing the Individual. The Origins of Western Liberalism". Le pouvoir politique ne doit plus être imposé mais choisi. Dieu a sacrifié son pouvoir sur la Croix, la royauté le fera à la guillotine. Tout comme le Christ, l'état ressuscita également sous une nouvelle forme. Du Dieu de la soumission, on passa au Dieu de l'amour; de l'absolutisme, on passa à la démocratie. L'État, en imitant en cela l'ouverture du Christ pour toute l'humanité, s'est vu appelé à gagner le consentement du plus grand nombre. À cette fin, il fallait sacrifier toute trace identitaire: ni le sexe, ni l'origine, ni la rase, ni les convictions politiques, philosophiques et bien sur religieuses ne doivent faire une quelconque différence aux yeux de l'état. Il ne reste plus que l'individu dans sa nudité, qui est certes encore incomplète, mais qui à l'ère de l'Internet et ses possibilités de surveillance risque bien d'être totale. N'était-ce pas une exigence de Jésus de vivre dans le dépouillement? Vu comme ca, on croirait presque voir le Christ à l'œuvre derrière tout ca!
Notre société actuelle n'aurait donc jamais été aussi chrétienne? C'est donc ca, la traduction politique du christianisme, un monde sans Dieu, un monde de l'homme-dieu? Quelle conclusion terrible. Mon travail ici consiste maintenant à trouver derrière toute cette argumentation une faille. Il faut bien sauver l'honneur de l'Éternel (et de la foi catholique). Alors je me suis mis donc à la recherche et j'ai trouvé une piste: la jalousie. Dieu est jaloux (Ex 34, 14), et il l'est encore plus avec Jésus (Mt 10, 37; Lc 14, 26), les noces étant bien en préparation depuis sa venue. La vérité est que Dieu n'est pas mort sans quelques arrières pensées. S'Il nous a sauvés, c'est pour nous avoir enfin pour Lui tout seul, pas pour nous relâcher ensuite dans notre liberté. Le consentement à Dieu, tel qu'il a été rendu possible depuis le sacrifice du Christ, n'existe que pour nous faire mieux prisonnier de son cœur. La Liberté, paradoxalement, dés quelle est consommée, s'autodétruit.
Avec un arc, on est libre de tirer une flèche vers n'importe quelle cible. Une fois cependant la flèche tirée, sa trajectoire ne se laisse plus influencer par notre volonté. La liberté s'est sacrifiée, elle est devenue destin. Sa cible est l'union, la confusion des volontés.
En étudiant la vie des plus grands saints, je me suis aperçu rapidement de quelque chose: plus la créature sacrifie librement sa liberté (paradoxe!) à son Créateur, plus leur amour devient passionnel. Si Dieu se passionne pour nous, il nous jalouse, s'il nous jalouse, il nous désire, s'il nous désire, son amour est véritablement éros. Dieu ne nous aime pas seulement, il nous désire, il veut nous consumer. Dans le cas contraire, l'amour sans le désire, c'est la tolérance. Un Dieu tolérant toutefois, trop respectueux, ne jugerait plus notre liberté et ses choix, et même s'il devrait le faire, ce n'aurait plus le moindre poids. Car un Dieu sans désire, c'est un Dieu qui peut rester seul; en quoi cela le gênerai donc de nous voir désobéissant? Dieu deviendrait ainsi déiste, sans signification pour nos vies; bonjour le sécularisme. Or un Dieu intolérant parce que jaloux, ce Dieu réactionnaire qui nous valu tant la haine des libéraux et autres au XIXème siècle, ne pourrait être tenu responsable du Libéralisme, celui-ci ne pouvant fonctionner durablement sans l'aide de la tolérance.
La préservation de l'authenticité de la foi catholique dépend alors de cette seule question: est-ce que Dieu nous désire? Je dirais clairement que oui. Mais je ne suis qu'un simple individu. D'un autre coté, les mystiques, qui semblent selon toute vraisemblance confirmer cette thèse, ne resteront qu'une élite très fermé. Si Dieu est désire que pour quelques bienheureux élus, il ne pourra pas être tenu représentatif de la foi catholique. On parle bien ici de la spiritualité de toute une civilisation et de ses conséquences pour son avenir et l'histoire; l'expérience d'une petite foule de mystiques n'aurait que trop peu de poids pour expliquer de tels changements. J'ai besoin alors de récolter le témoignage du simple croyant (avec tout mon respect) pour pouvoir attribuer à cette thèse un semblant de crédibilité. L'éros étant une expérience essentiellement individuelle, le catéchisme ne me révélera pas grand chose là-dessous. Alors je suis venu faire ce petit sondage pour plus d'éclaircissement. Il serait totalement ridicule de présenter ce projet avant même que les axiomes de base n'aient pu voir la moindre confirmation, aussi mince quelle soit. Sinon, le risque d'un échec ne serait que trop grand.
Je vous laisse à matière de réflexion avec cette image d'une sculpture de la bienheureuse Ludovica Albertoni (1474 - 1533) en extase, fabriquée par le Bernin (1598-1680), exposée dans l'église
San Franscesco a Ripa à Rome.
Veillez m'excuser pour avoir mis tellement de temps à répondre à votre question, cher Jean-Mic, mais c'est que je suis débordé de travail et n'ai donc que peu de temps.
Bon, vu que tout commence à s'embrouiller, je vais parler "Klartext", comme on dit si bien en allemand. Attention, ça va être un peu long.
Le Christianisme, en proclamant la Naissance de Dieu dans les fonds de la nature humaine, a permit au divin de devenir une expérience individuelle pour le croyant. En se révélant dans le corps d'un homme, Dieu pu pour la première fois s'exprimer à échelle humaine, le rendant ainsi beaucoup plus accessible au commun des mortels, ces derniers qui jusqu'à lors ne pouvaient être que plein de craintes et tremblements devant ce Dieu sans visage, distant et autoritaire de l'Ancien Testament. Ceci est d'autant plus que vrai que le Christ se présente toujours des plus inoffensifs, allant même jusqu'à payer de sa vie l'absolution des vices et péchés de l'humanité. Un Dieu qui ne venge, ni ne châtie plus les offenses à son égard, mais qui plutôt préfère les supporter et les subir n'est plus véritablement en mesure d'inspirer la crainte - si ce n'est de l'amour.
C'est précisément ce point là qui fait toute la différence avec l'Ancien Testament (AT) et qui constitue l'un des changements majeurs avec ce dernier. Dans le premier cas, l'homme accepte de se soumettre à Dieu par pur intérêt. En effet, le but du croyant dans les temps de l'AT se limitait encore très largement au bonheur terrestre. Un objectif qui ne sembla pas gêner outre mesure Dieu, puisque il se trouve que c'était également son plan déclaré d'amener son peuple dans une terre ou celui-ci pourrait mener une vie heureuse, faste et longue en années, ce qui se nomme dans le langage de l'AT la bénédiction. La vie après la mort ne se trouvait pas encore dans la ligne de mire du fidele (Ec 3, 20-22). Mais dans tout ça, il y avait une condition: la Loi.
Effectivement, la félicité ici-bas tant recherché par l'homme dépend du maintient de la Loi divine. Tel est en tout cas ce qu'affirme inlassablement Dieu dans les livres du Pentateuque (Lev 26, 3-12; Dtn 11, 8-32). Par l'accomplissement de la Lettre, le croyant soumet toutes ses actions à la volonté divine, et c'est seulement dans ce cadre qu'il aura droit d'espérer jouir de la vie. Qu'en est-il cependant de tous ceux qui s'aventurent à prendre des voies pas très pieuses pour arriver aux plaisirs de ce monde? Là-dessous, Dieu est sans équivoque (Lev 26, 14~33):
"[i]Mais si vous ne m'écoutez point, et que vous cessiez d'exécuter tous ces commandements; si vous dédaignez mes lois et que votre esprit repousse mes institutions, au point de ne plus observer mes préceptes, de rompre mon alliance, à mon tour, voici ce que je vous ferai: je susciterai contre vous d'effrayants fléaux, la consomption, la fièvre, qui font languir les yeux et défaillir l'âme; vous sèmerez en vain votre semence, vos ennemis la consommeront. Je dirigerai ma face contre vous, et vous serez abattus devant vos ennemis; ceux qui vous haïssent vous domineront, et vous fuirez sans qu'on vous poursuive.[/i] (...) [i]Je briserai votre arrogante audace, en faisant votre ciel de fer et votre terre d'airain; et vous vous épuiserez en vains efforts, votre terre refusera son tribut, et ses arbres refuseront leurs fruits.[/i] (...) [i]Je lâcherai sur vous les bêtes sauvages, qui vous priveront de vos enfants, qui extermineront votre bétail, qui vous décimeront vous-mêmes, et vos routes deviendront solitaires.[/i] (...) [i]Je ferai surgir contre vous le glaive, vengeur des droits de l'Alliance, et vous vous replierez dans vos villes; puis, j'enverrai la peste au milieu de vous, et vous serez à la merci de l'ennemi, tandis que je vous couperai les vivres[/i] (...)[i]. Vous dévorerez la chair de vos fils, et la chair de vos filles vous la dévorerez. Je détruirai vos hauts-lieux, j'abattrai vos monuments solaires, puis je jetterai vos cadavres sur les cadavres de vos impures idoles; et mon esprit vous repoussera. Je ferai de vos villes des ruines, de vos lieux saints une solitude, et je ne respirerai point vos pieux parfums. Puis, moi-même je désolerai cette terre, si bien que vos ennemis, qui l'occuperont, en seront stupéfaits. Et vous, je vous disperserai parmi les nations, et je vous poursuivrai l'épée haute; votre pays restera solitaire, vos villes resteront ruinées.[/i]"
Le Dieu de l'Ancienne Alliance n'avait pas honte de montrer ses dents. En résumé et très superficiellement, il est donc possible de caractériser ce pacte conclut entre le peuple d'Israël et son Dieu comme une sorte de marché: tu te soumets, et je te rends heureux; tu te révolte, et je t'extermine. Choisis: la vie ou la mort (Dtn 30, 15-16).
L'amour de Dieu, ça se mérite.
Maintenant, dans le deuxième cas, celui du Nouveau Testament, nous rencontrons un Dieu qui se livre bras ouvert à la merci de toute la cruauté humaine, non sans être prêt à assumer le pire: la mort, et quelle mort d'ailleurs! Celle qui était en ces temps là réservé aux pires criminels.
En se décidant à subir pareille humiliation, en s'abstenant d'user de la plénitude de son pouvoir contre le plus injuste et immonde des traitements, et restant patient non pas jusqu'au coup de trop qui fait déborder le vase, mais bien plus jusqu'à la mort la plus noire, Dieu détruit sous nos yeux toute la base sur laquelle reposait l'Ancienne Alliance. Ainsi, tout cette édifice fondé sur la crainte de l'AT s'effondre et laisse la place à l'amour.
Mais ca ne s'arrête pas là. Un Dieu amoureux ne peut davantage nous assurer une vie confortable et prospère en échange de nos services. Le faire reviendrait à réduire notre amour à une prostitution. Dieu désire ici cependant être aimé gratuitement (Mc 10, 15; Jn 21, 15-18). C'est sous cette même perspective qu'il faut également comprendre le rejet de Jésus de toute tentative visant à théocratiser la royauté terrestre (Jn 18, 36). L'espoir de trouver sa terre promise n'est désormais tout au plus qu'une éventualité post-mortem. Dieu n'a plus rien à offrir à ce monde, si ce n'est le Sien.
C'est par la Croix que les masques tombent. Car maintenant que l'homme a plus grand chose à craindre de Dieu, cadavre qu'Il est sur sa croix, et qu'il ne tirera pas le moindre bénéfice séculaire pour sa foi, ce monde étant d'ores et déjà condamné, il est forcé, tel Job dans le fond son désespoir, à dévoiler la pensée la plus enfouie dans son cœur, dénuée de tout désir égoïste ou craintif, à l'égard de son Créateur. La fidélité à Dieu ne peut donc plus être garantie par un sentiment de frayeur ou d'intérêt, mais uniquement par la gratuité, l'amour.
Pourquoi aimer Dieu? Parce que Dieu est le seul dont l'amour serait capable de subir le mal qu'autrement le pécheur, et qu'il soit menteur, voleur, pervers, escroc, adultère, assassin, violeur, idolâtre, traitre ou mécréant, aurait mérité lui-même. En sacrifiant tout son pouvoir, Dieu prouve qu'il nous a crée pour nous aimer, pas pour nous exploiter. Le fiat qu'Il veut entendre de notre cœur doit par conséquent provenir du plus profond consentement de notre individualité - et l'individualité à l'état pur, ca s'appelle l'amour.
On se rend ici compte de l'un des aspects les plus révolutionnaires du Christianisme: Dieu est à consentir. Un fidele qui se soumet de force à Dieu ou qui y est forcé par autrui, n'est pas pleinement chrétien.
Enfin, nous arrivons maintenant au politique.
Nous avons pu constater que le Dieu des évangiles valorise principalement le consentement individuel à sa volonté, pourquoi ne pourrait-ce pas être le cas également de la politique? Après tout, si Dieu, qui est la référence suprême dans la vie d'un croyant, s'est vu prêt à le faire ainsi, pourquoi pas à plus forte raison ceux qui nous règnent?
Appliquons le christianisme à la politique, donnons à l'état la spiritualité des Évangiles, et nous avons le règne du consentement, c'est à dire la démocratie libérale. Voilà la thèse de Siedentop dans son livre paru en 2014 au titre suivant "[i]Inventing the Individual. The Origins of Western Liberalism[/i]". Le pouvoir politique ne doit plus être imposé mais choisi. Dieu a sacrifié son pouvoir sur la Croix, la royauté le fera à la guillotine. Tout comme le Christ, l'état ressuscita également sous une nouvelle forme. Du Dieu de la soumission, on passa au Dieu de l'amour; de l'absolutisme, on passa à la démocratie. L'État, en imitant en cela l'ouverture du Christ pour toute l'humanité, s'est vu appelé à gagner le consentement du plus grand nombre. À cette fin, il fallait sacrifier toute trace identitaire: ni le sexe, ni l'origine, ni la rase, ni les convictions politiques, philosophiques et bien sur religieuses ne doivent faire une quelconque différence aux yeux de l'état. Il ne reste plus que l'individu dans sa nudité, qui est certes encore incomplète, mais qui à l'ère de l'Internet et ses possibilités de surveillance risque bien d'être totale. N'était-ce pas une exigence de Jésus de vivre dans le dépouillement? Vu comme ca, on croirait presque voir le Christ à l'œuvre derrière tout ca!
Notre société actuelle n'aurait donc jamais été aussi chrétienne? C'est donc ca, la traduction politique du christianisme, un monde sans Dieu, un monde de l'homme-dieu? Quelle conclusion terrible. Mon travail ici consiste maintenant à trouver derrière toute cette argumentation une faille. Il faut bien sauver l'honneur de l'Éternel (et de la foi catholique). Alors je me suis mis donc à la recherche et j'ai trouvé une piste: la jalousie. Dieu est jaloux (Ex 34, 14), et il l'est encore plus avec Jésus (Mt 10, 37; Lc 14, 26), les noces étant bien en préparation depuis sa venue. La vérité est que Dieu n'est pas mort sans quelques arrières pensées. S'Il nous a sauvés, c'est pour nous avoir enfin pour Lui tout seul, pas pour nous relâcher ensuite dans notre liberté. Le consentement à Dieu, tel qu'il a été rendu possible depuis le sacrifice du Christ, n'existe que pour nous faire mieux prisonnier de son cœur. La Liberté, paradoxalement, dés quelle est consommée, s'autodétruit.
Avec un arc, on est libre de tirer une flèche vers n'importe quelle cible. Une fois cependant la flèche tirée, sa trajectoire ne se laisse plus influencer par notre volonté. La liberté s'est sacrifiée, elle est devenue destin. Sa cible est l'union, la confusion des volontés.
En étudiant la vie des plus grands saints, je me suis aperçu rapidement de quelque chose: plus la créature sacrifie librement sa liberté (paradoxe!) à son Créateur, plus leur amour devient passionnel. Si Dieu se passionne pour nous, il nous jalouse, s'il nous jalouse, il nous désire, s'il nous désire, son amour est véritablement éros. Dieu ne nous aime pas seulement, il nous désire, il veut nous consumer. Dans le cas contraire, l'amour sans le désire, c'est la tolérance. Un Dieu tolérant toutefois, trop respectueux, ne jugerait plus notre liberté et ses choix, et même s'il devrait le faire, ce n'aurait plus le moindre poids. Car un Dieu sans désire, c'est un Dieu qui peut rester seul; en quoi cela le gênerai donc de nous voir désobéissant? Dieu deviendrait ainsi déiste, sans signification pour nos vies; bonjour le sécularisme. Or un Dieu intolérant parce que jaloux, ce Dieu réactionnaire qui nous valu tant la haine des libéraux et autres au XIXème siècle, ne pourrait être tenu responsable du Libéralisme, celui-ci ne pouvant fonctionner durablement sans l'aide de la tolérance.
La préservation de l'authenticité de la foi catholique dépend alors de cette seule question: est-ce que Dieu nous désire? Je dirais clairement que oui. Mais je ne suis qu'un simple individu. D'un autre coté, les mystiques, qui semblent selon toute vraisemblance confirmer cette thèse, ne resteront qu'une élite très fermé. Si Dieu est désire que pour quelques bienheureux élus, il ne pourra pas être tenu représentatif de la foi catholique. On parle bien ici de la spiritualité de toute une civilisation et de ses conséquences pour son avenir et l'histoire; l'expérience d'une petite foule de mystiques n'aurait que trop peu de poids pour expliquer de tels changements. J'ai besoin alors de récolter le témoignage du simple croyant (avec tout mon respect) pour pouvoir attribuer à cette thèse un semblant de crédibilité. L'éros étant une expérience essentiellement individuelle, le catéchisme ne me révélera pas grand chose là-dessous. Alors je suis venu faire ce petit sondage pour plus d'éclaircissement. Il serait totalement ridicule de présenter ce projet avant même que les axiomes de base n'aient pu voir la moindre confirmation, aussi mince quelle soit. Sinon, le risque d'un échec ne serait que trop grand.
Je vous laisse à matière de réflexion avec cette image d'une sculpture de la bienheureuse Ludovica Albertoni (1474 - 1533) en extase, fabriquée par le Bernin (1598-1680), exposée dans l'église [i]San Franscesco a Ripa[/i] à Rome.
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