par Cinci » lun. 19 juin 2017, 2:07
(suite)
On comprendra ce qu'est l'adoration bérullienne : un esprit – répétons-le – pénétrant la vie chrétienne jusque dans son tréfonds, un état plutôt qu'un acte, une attitude soutenue plutôt qu'un geste, une oblation sans fin,
un prosternement amoureux de tout l'être devant le Créateur, un amour qui se perd dans la reconnaissance joyeuse et laudative des perfections divines.
Avouons ici que cette adoration, cette vertu de religion ainsi comprise, qui impose un profond respect dans les relations de la créature envers le Créateur, dont elle ne doit jamais oublier la puissance et la grandeur infinies, nous écarte un peu des vues de l'humanisme dévôt contre lequel l'École française, quoi qu'en dise Brémond, semble parfois, sinon en opposition systématique, du moins en réaction.
Lorsque Bérulle et Olier édifiaient leur spiritualité, l'humanisme, qui avait produit d'admirables fruits de sainteté, commençait à se compromettre par la séparation de la foi et de la vie.
Intransigeants sur le dogme, ne voyait-on pas des humanistes prendre dans la vie courante, les sages de l'Antiquité pour guides et pour modèles, chercher secours en face de la mort dans les enseignements du stoïcisme païen, s'inspirer des philosophies antiques comme si la nature se suffisait à elle-même et que la raison de l'homme fut l'unique règle de sa vie? D'où d'étranges conséquences; dans l'ordre de la spiritualité, où l'on traitait Dieu assez cavalièrement, le mettant au service de l'homme dont on ne cessait de louer les grandeurs.
D'autre part, la dévotion des humanistes qui mettait l'amour divin en relief eût été théologiquement inattaquable, si cet amour n'avait pris très tôt une expression de mièvrerie déplaisante et un sans gêne déconcertant. On considérait Dieu non pas comme un père, mais conne un grand-père un peu fatigué ou trop faible, avec qui il était facile « d'en prendre et d'en laisser ». Quant au Verbe incarné c'était l'ami, presque le camarade, qu'on traitait sans respect quand on ne l'affublait pas du nom de Minerve, ou de quelque autre divinité.
Bérulle et Olier réagirent contre de tels excès.
Ils centrent l'homme sur Dieu (Théocentrisme), et non Dieu sur l'homme (Anthropocentrisme). Ils voulurent considérer Dieu, non seulement comme un père de miséricorde, mais comme le Créateur tout-puissant auquel nous sommes redevables de tous les biens qui nous sont départis.
[...]
Les moyens de l'adoration
Mais ne l'oublions pas, nos moyens sont bornés, et notre adoration, si respectueuse soit-elle, si fervente et lyrique qu'elle apparaisse, restera toujours déficiente. Notre connaissance de l'être divin est incomplète, sa vie intime nous échappe, ses mystères nous enténèbrent, sa transcendance nous dépasse et nous balbutions ses grandeurs. Et que d'impuretés dans notre âme! Faut-il donc se résigner à offrir à Dieu qu'un amour dérisoire et une louange qui, malgré nos efforts, restera toujours imparfaite?
« De toute éternité, il y avait bien un Dieu infiniment adorable, mais il n'y avait pas encore un adorateur infini en puissance, en qualité, en dignité, pour satisfaire pleinement à ce devoir et pour rendre ce divin hommage » (Bérulle, Discours des grandeurs)
Après la chute originelle qui accentua ce sentiment d'insuffisance, l'homme appela, de tous ses vœux, le Messie qui devait réparer toutes choses et donner au culte divin sa perfection indéfectible. Qu'on se rappelle l'impatience des prophètes.
« Je me tiendrai en vigie, dit l'un d'eux, mes pieds ne quitteront pas le sommet de la tour, et je veillerai pour saisir les paroles qui me seront adressées. Car, pour le moment, la vision est encore loin, attendez, mais elle paraîtra à la fin. Si elle tarde encore, attendez, car elle ne trompera pas votre attente. » Un autre s'écrie : « O mon Dieu, ô mon Dieu, pour toi je veillerai dès l'aube du jour. De Toi mon âme a soif au milieu du désert, là où il n'y a ni route, ni source d'eau vive. »
Et cet autre enfin : « Oh! Puisses-tu fendre les cieux et descendre vers nous! Les montagnes fondront en ta présence, elles fondront comme sous l'action du feu; les eaux deviendront brûlantes. Et depuis le commencement du monde, l'oeil n'a pu voir, ô mon Dieu, les merveilles que tu as préparées pour ceux qui dans l'attente à Toi sont attachés. »
A ce lyrisme des prophètes répondra, bien des siècles plus tard, celui de l'École française, qui chantera la réalisation, dans le temps, des promesses divines. C'est avec enthousiasme que Bérulle, Olier et leurs disciples entonneront l'hymne de louange aux merveilles qui ont précédé et suivi la naissance de Jésus.
« Voilà l'oeuvre des œuvres de l'Éternel, voilà l'oeuvre aussi éternelle, car tant que Dieu sera Dieu, il sera joint à la nature crée, et d'un lien très intime et indissoluble. Voilà la première sortie du Verbe éternel; voilà son premier pas hors du sein de son Père, pour entrer au sein de la Vierge … Contemplons-le en cette première sortie dont il est dit en saint Jean, Ego a Deo exivi, et en ce premier état de sa vie nouvelle et voyagère. Adorons l'état et les actions de sa vie nouvelle » (Considérations sur l'Incarnation)
Le Verbe est donc sorti du Père pour venir jusqu'à nous. Il prend chair dans le sein de Marie, il épouse la nature humaine et l'assume en sa personne. Il unit la grandeur de Dieu à la faiblesse de l'homme. En lui :
Nous adorons un Dieu infini, mais qui s'est rendu fini … nous adorons un Dieu éternel, mais qui s'est rendu mortel, un Dieu invisible mais qui s'est rendu visible, un Dieu impassible mais qui s'est rendu sujet au froid, au chaud, à la croix, à la mort … et pour tout dire en un mot, un Créateur qui s'est fait créature … ne perdant rien de son être premier, n'omettant rien de son nouvel être, mais les joignant ensemble par un lien si cher, si étroit, si intime, comme est l'unité d'une même personne. (Bérulle, Oeuvres)
(suite)
On comprendra ce qu'est l'adoration bérullienne : un esprit – répétons-le – pénétrant la vie chrétienne jusque dans son tréfonds, un état plutôt qu'un acte, une attitude soutenue plutôt qu'un geste, une oblation sans fin, [b]un prosternement amoureux de tout l'être devant le Créateur[/b], un amour qui se perd dans la reconnaissance joyeuse et laudative des perfections divines.
Avouons ici que cette adoration, cette vertu de religion ainsi comprise, qui impose un profond respect dans les relations de la créature envers le Créateur, dont elle ne doit jamais oublier la puissance et la grandeur infinies, nous écarte un peu des vues de l'humanisme dévôt contre lequel l'École française, quoi qu'en dise Brémond, semble parfois, sinon en opposition systématique, du moins en réaction.
Lorsque Bérulle et Olier édifiaient leur spiritualité, l'humanisme, qui avait produit d'admirables fruits de sainteté, commençait à se compromettre par la séparation de la foi et de la vie.
Intransigeants sur le dogme, ne voyait-on pas des humanistes prendre dans la vie courante, les sages de l'Antiquité pour guides et pour modèles, chercher secours en face de la mort dans les enseignements du stoïcisme païen, s'inspirer des philosophies antiques comme si la nature se suffisait à elle-même et que la raison de l'homme fut l'unique règle de sa vie? D'où d'étranges conséquences; dans l'ordre de la spiritualité, où l'on traitait Dieu assez cavalièrement, le mettant au service de l'homme dont on ne cessait de louer les grandeurs.
D'autre part, la dévotion des humanistes qui mettait l'amour divin en relief eût été théologiquement inattaquable, si cet amour n'avait pris très tôt une expression de mièvrerie déplaisante et un sans gêne déconcertant. On considérait Dieu non pas comme un père, mais conne un grand-père un peu fatigué ou trop faible, avec qui il était facile « d'en prendre et d'en laisser ». Quant au Verbe incarné c'était l'ami, presque le camarade, qu'on traitait sans respect quand on ne l'affublait pas du nom de Minerve, ou de quelque autre divinité.
Bérulle et Olier réagirent contre de tels excès. [b]Ils centrent l'homme sur Dieu[/b] (Théocentrisme), et non Dieu sur l'homme (Anthropocentrisme). Ils voulurent considérer Dieu, non seulement comme un père de miséricorde, mais comme le Créateur tout-puissant auquel nous sommes redevables de tous les biens qui nous sont départis.
[...]
Les moyens de l'adoration
Mais ne l'oublions pas, nos moyens sont bornés, et notre adoration, si respectueuse soit-elle, si fervente et lyrique qu'elle apparaisse, restera toujours déficiente. Notre connaissance de l'être divin est incomplète, sa vie intime nous échappe, ses mystères nous enténèbrent, sa transcendance nous dépasse et nous balbutions ses grandeurs. Et que d'impuretés dans notre âme! Faut-il donc se résigner à offrir à Dieu qu'un amour dérisoire et une louange qui, malgré nos efforts, restera toujours imparfaite?
[color=#0000FF]« De toute éternité, il y avait bien un Dieu infiniment adorable, mais il n'y avait pas encore un adorateur infini en puissance, en qualité, en dignité, pour satisfaire pleinement à ce devoir et pour rendre ce divin hommage » ([b]Bérulle[/b], [i]Discours des grandeurs[/i]) [/color]
Après la chute originelle qui accentua ce sentiment d'insuffisance, l'homme appela, de tous ses vœux, le Messie qui devait réparer toutes choses et donner au culte divin sa perfection indéfectible. Qu'on se rappelle l'impatience des prophètes.
[quote] « Je me tiendrai en vigie, dit l'un d'eux, mes pieds ne quitteront pas le sommet de la tour, et je veillerai pour saisir les paroles qui me seront adressées. Car, pour le moment, la vision est encore loin, attendez, mais elle paraîtra à la fin. Si elle tarde encore, attendez, car elle ne trompera pas votre attente. » Un autre s'écrie : « O mon Dieu, ô mon Dieu, pour toi je veillerai dès l'aube du jour. De Toi mon âme a soif au milieu du désert, là où il n'y a ni route, ni source d'eau vive. »
Et cet autre enfin : « [b]Oh! Puisses-tu fendre les cieux et descendre vers nous![/b] Les montagnes fondront en ta présence, elles fondront comme sous l'action du feu; les eaux deviendront brûlantes. Et depuis le commencement du monde, l'oeil n'a pu voir, ô mon Dieu, les merveilles que tu as préparées pour ceux qui dans l'attente à Toi sont attachés. »
[/quote]
A ce lyrisme des prophètes répondra, bien des siècles plus tard, celui de l'École française, qui chantera la réalisation, dans le temps, des promesses divines. C'est avec enthousiasme que Bérulle, Olier et leurs disciples entonneront l'hymne de louange aux merveilles qui ont précédé et suivi la naissance de Jésus.
[color=#0000FF]« Voilà l'oeuvre des œuvres de l'Éternel, voilà l'oeuvre aussi éternelle, car tant que Dieu sera Dieu, il sera joint à la nature crée, et d'un lien très intime et indissoluble. [b]Voilà la première sortie du Verbe éternel; voilà son premier pas hors du sein de son Père, pour entrer au sein de la Vierge[/b] … Contemplons-le en cette première sortie dont il est dit en saint Jean, [i]Ego a Deo exivi[/i], et en ce premier état de sa vie nouvelle et voyagère. Adorons l'état et les actions de sa vie nouvelle » ([i]Considérations sur l'Incarnation[/i])
[/color]
Le Verbe est donc sorti du Père pour venir jusqu'à nous. Il prend chair dans le sein de Marie, il épouse la nature humaine et l'assume en sa personne. Il unit la grandeur de Dieu à la faiblesse de l'homme. En lui :
[color=#0000FF]Nous adorons un Dieu infini, mais qui s'est rendu fini … nous adorons un Dieu éternel, mais qui s'est rendu mortel, un Dieu invisible mais qui s'est rendu visible, un Dieu impassible mais qui s'est rendu sujet au froid, au chaud, à la croix, à la mort … et pour tout dire en un mot, un Créateur qui s'est fait créature … ne perdant rien de son être premier, n'omettant rien de son nouvel être, mais les joignant ensemble par un lien si cher, si étroit, si intime, comme est l'unité d'une même personne. ([b]Bérulle[/b], Oeuvres)[/color]