Bibou :
Pourriez-vous me donner des informations sur la présence ou non de la notion de mauvais oeil dans la bible ?
Bonjour,
Pour tenter de vous aider, je pourrais consulter un recueil de textes que j'ai ici et qui provient de monsieur Henri Lemay. C'est lui qui en a fait la collection. Parmi ses notes, il y a un document daté du 15 avril 1994 qui a été produit par les évêques de Toscane. Il s'agit d'une lettre pastorale (Documentation catholique, 20 novembre 1994 – métropoles de Florence, Pise et Sienne, dix-huit circonscriptions ecclésiastiques)
« Lorsque tu seras entré dans le pays que Yavhé ton Dieu te donne, tu n'apprendras pas à commettre les mêmes aberrations que ces nations-là. On ne trouvera chez toi personne qui fasse passer au feu son fils ou sa fille, qui pratique divination, incantation, mantique ou magie, personne qui use de charmes, qui interroge les spectres et devins, qui invoque les morts. Car quiconque fait ces choses est en abomination à Yavhé ton Dieu. « (Dt 18, 9-12)
1. Quiconque fait ces choses est en abomination au Seigneur
L'avertissement biblique est aujourd'hui plus actuel que jamais. En tant qu'évêques de Toscane, nous ressentons le devoir de le rappeler avec clarté, à nos fidèles. Nous assistons en effet à un retour impressionnant des pratiques magiques. Le phénomène tend à s'imposer dans la vie collective et personnelle de milliers d'individus, y compris les fidèles eux-mêmes. Selon les données les plus récentes, les utilisateurs de la magie en Italie seraient presque 12 millions de personne. Le phénomène nous préoccupe comme indice d'une grave situation de désarroi existentiel, comme pour les présupposées de pensée et les comportements pratiques qu'il suppose. [...]
2. La diffusion actuelle de la magie
A la magie d'origine agricole et pré-industrielle enracinée dans l'histoire de nos populations, se superposent aujourd'hui des formes de divination qui se revêtent hybrides de culture, de psychologie "sauvage" et de références ésotériques. Des magiciens et des mystificateurs, des faux prophètes et de soi-disant illuminés envoûtent des adeptes, extorquent de l'argent, présentant comme des révélations et des "vérités secrètes" des conceptions de la vie d'une pauvreté ahurissante et – ce qui est pire – qui s'écartent de la vérité de la foi. Les adeptes de la magie qui s'attribuent le pouvoir de résoudre les problèmes […] ou prétendent enlever ce que l'on appelle le « mauvais œil » ou les « sorts » sont des individus qui se font de la publicité par des insertions payantes dans les journaux […]
Gravité du problèmes
« La culture athée de l'Occident moderne vit encore grâce à la liberté de la peur des démons apportée par le christianisme. Mais si cette lumière rédemptrice du Christ devait s'éteindre, malgré toute sa sagesse et sa technologie, le monde tomberait dans la terreur et le désespoir. Il y a déjà des signes de retour des forces obscures, tandis qu'augmentent dans le monde sécularisé les cultes sataniques. » (J. Ratzinger, Rapport sur la foi, 1985)
Le jugement doctrinal de l'Église
On connaît l'extrême dureté de l'Ancien Testament contre qui pratique la magie.
Ex 22,17 : " Tu ne laissera pas vivre la sorcière […] "
La raison de tant de sévérité réside dans le fait que la magie est un refus du Dieu unique et vrai : « Ne vous tournez pas vers les spectres et ne recherchez pas les devins; ils vous souilleraient. Je suis le Seigneur, votre Dieu. » Lv 19,31
« Celui qui s'adressera aux spectres et aux devins pour se prostituer à leur suite, je me tournerai contre cet homme-là et je le retrancherai du milieu de mon peuple … car je suis le Seigneur, votre Dieu. » Lv 20, 6-7
Dans la vision biblique, la magie représente un acte d'apostasie du Seigneur, unique sauveur de son peuple et équivaut à un acte de rébellion à l'égard de Dieu et sa parole.
« Moi, je suis le Seigneur, et en dehors de moi il n'y a pas de sauveur. C'est moi qui ai révélé, sauvé et fait entendre » - Isaïe 43, 11-12
S'adonner à la magie, c'est comme s'adonner à la prostitution. « Mon peuple consulte son morceau de bois, c'est son bâton qui le renseigne; car un esprit de prostitution les égare, et ils se prostituent, s'éloignant de leur Dieu »- Osée 4,12, Isaïe 2,6; 3, 2-3
Le livre de la Sagesse souligne ironiquement combien les rites magiques, au lieu de sauver, conduisent à une situation encore pire. « Les artifices de l'art magique demeurent impuissants et sa prétention à l'intelligence est honteusement confondue, car ceux qui promettaient de bannir de l'âme malade les terreurs et les troubles sont eux-mêmes malades d'une peur ridicule. » - Sagesse 17, 7-8
Le Nouveau Testament se situe dans la même ligne quand, lorsqu'il demande la foi en l'unique Seigneur Jésus et le baptême en son nom, il exige le refus de toute mentalité et de tout comportement magique. Il existe en effet une nette opposition entre l'annonce de la foi et la magie. Les vrais croyants sont appelés à s'en remettre à l'unique Seigneur Jésus, le Fils bien-aimé du Père, et aux saintes Écritures données par l'Esprit à son Église. La sorcellerie sous quelque forme qu'elle se manifeste, fait partie des œuvres qui écartent de l'héritage du Royaume de Dieu, si bien que l'Apocalypse exclut de la Jérusalem céleste les menteurs et les sorciers en tout genre.
En effet, la magie remplace Dieu par des créatures et représente une reprise de cette tentation diabolique à laquelle Jésus lui-même a voulu se soumettre, en remportant la victoire : « Le démon lui dit : Je te donnerai tout ce pouvoir, et la gloire de ces royaumes … Si tu te prosternes devant moi , tu auras tout cela. » Jésus lui répondit : Il est écrit : « Tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu, car c'est lui seul que tu adoreras. » - Luc 4,6-8
Incompatibilité entre la magie et la foi
Tel est l'enseignement constant de la foi chrétienne. Déjà, la
Didaché, parmi les voies qui conduisent à la mort, met, à côté de l'idolâtrie, la magie et les incantations.
Tatien, vers la fin du IIe siècle, entame une dure polémique contre le fatalisme astral dans lequel il voit une forme de pouvoir du démon sur l'humanité. Hippolyte, dans la
Tradition apostolique, exclut du baptême les magiciens, les astrologues et les devins. Tertullien prononce des paroles très sévères à l'égard de tous ceux qui pratiquent la magie : « Des astrologues, des sorciers, des charlatans de tout acabit, on ne devrait même pas en parler. Pourtant, récemment, un astrologue qui se déclare chrétien a eu l'imprudence de faire l'apologie de son métier! Il est donc nécessaire de rappeler, même brièvement, à cet homme et à ses semblables, qu'ils offensent Dieu en mettant les astres sous la protection des idoles et en faisant dépendre d'eux le sort des humains. « - Tertullien, De idolatria, IX
Un dur combat entre les puissances des ténèbres – affirme le concile Vatican II – passe à travers toute l'histoire des hommes; commencé dès les origines, il durera, le Seigneur nous l'a dit, jusqu'au dernier jour. Engagé dans cette bataille, l'homme doit sans cesse combattre pour s'attacher au bien; et ce n'est qu'au prix de grands efforts, avec la grâce de Dieu, qu'il parvient à son unité intérieure (Gaudium et Spes 37)
Toutes les formes de divination – explique le Catéchisme de l'Église catholique – sont à rejeter : recours à Satan ou aux démons, évocation des morts ou autres pratiques supposées à tort dévoiler l'avenir. La consultation des horoscopes, l'astrologie, la chiromancie, l'interprétation des sorts, les phénomènes de voyance […] Elles sont en contradiction avec l'honneur et le respect, mêlé de crainte aimante, que nous devons à Dieu seul – CEC no 2116
Le port des amulettes est lui aussi répréhensible – CEC no 2116
Le maléfice et son caractère inacceptable
Une forme particulière de magie vise à nuire au prochain, est représenté par ce que l'on appelle le
maleficium . Thomas d'Aquin le compte parmi les péchés mortels.
On l'appelle vulgairement le « mauvais œil » ou « mauvais sort » (faire quelque chose de symbolique avec l'intention de souhaiter du mal ou de nuire) Il s'agit de formes grossières et populaires de magie, parfois mises en acte par ignorance ou par ingénuité. Sortiarus (jeter un sort), une pratique très répandue au Moyen Age. Le
sortiarus n'est rien d'autre que l'héritier occidental des magiciens de l'ancienne Perse et de l'Assyrie, qui avaient commencé par l'étude officielle des astres et avaient fini par recourir à des méthodes occultes visant à assurer les vengeances particulières : il eut pour continuateur divers groupes, au bas Moyen Age, jusqu'aux modernes « sorciers » de type populaire ou au profil professionnel plus élevé.
Il est généralement compris comme un acte de malédiction, un geste de condamnation ou un phénomène de suggestion en mesure de faire du mal à ceux auxquels il est adressé, sans que l'on pense – au moins d'une manière directe ou explicite – à un acte de nature démoniaque. Malgré son caractère d'ingénuité, cet acte doit être considéré comme inacceptable du point de vue chrétien, dans la mesure même où il se pose comme une action contraire à la vertu de religion, de justice et à la charité. On ne peut accepter que quelqu'un désire et s'efforce de faire du mal à quelqu'un d'autre.
Certains fidèles se demandent : le mauvais sort existe-t-il? A-t-il des effets réels? Le démon peut-il se servir de personnes mauvaises et donc de gestes commis comme le mauvais sort ou le mauvais œil pour faire mal à quelqu'un? La réponse est certainement difficile pour juger des cas particuliers, mais l'on ne peut exclure, dans des pratiques de ce genre, une certaine participation du geste maléfique au monde démoniaque. Pour cette raison, l'Église a toujours fermement refusé et refuse le
maleficium et toute action qui lui est proche. Bien plus grave est le maléfice de celui qui a la présomption de soumettre qui en est l'objet (élément inanimé, animaux et surtout personnes) au pouvoir ou au moins à l'influence du démon. Dans de tels cas, en tant qu'il est réalisé avec cette présomption spécifique, il revêt la forme de la magie noire et constitue un acte
gravement peccamineux.
En somme, le mauvais œil est assimilé à la magie. Il procède de l'idolâtrie (refus de se soumette au Seigneur, infidélité envers Dieu et ses commandements). La pratique tombe sous les condamnations habituelles de la Bible.