par Cinci » ven. 17 août 2018, 15:01
Et à propos de témoignage ...
"A son degré le plus faible, témoigner signifie rapporter ce qu'on a vu et entendu. [...] Le témoignage repose alors sur une expérience oculaire ou auriculaire. Le contexte le plus fréquent de ce type de témoignage est celui d'un procès. Déjà, à ce premier niveau, la foi au témoignage réclame une certaine démission de la raison et une certaine confiance, car la parole du témoin devient, pour celui qui n'a pas vu ni entendu, substitut de l'expérience elle-même.
En raison de ce contexte judiciaire, le témoignage n'a pas simple valeur d'information : c'est un récit en vue d'un jugement à porter sur des événements, sur les motifs d'un acte, sur le caractère d'une personne. Le témoignage est destiné à influer sur les jurés et sur le juge, qui s'appuient sur lui, comme sur un argument, pour penser, évaluer, décider. C'est pourquoi le récit du témoin, plus qu'un fait mental est un fait moral : une déposition à laquelle le serment confère une gravité particulière. Témoigner, dans un procès, c'est se déclarer en faveur de quelqu'un ou contre quelqu'un. Il ne s'agit pas simplement de raconter ou de décrire, à la manière d'un journaliste, mais de s'engager soi-même, en pleine liberté, et de porter un jugement de valeur.
Nous arrivons ainsi au second niveau du témoignage, celui où le témoin s'engage tout entier dans sa parole, se compromet pour elle. Ainsi, dans un témoignage qui met en cause la vie de quelqu'un, le témoin non seulement exprime une conviction intime sur l'innocence ou la culpabilité de l'accusé, mais il se compromet tout entier dans sa déposition. En termes équivalents, il dit : "Je déclare cette personne innocente : nier cette innocence serait me renier moi-même". L'être et le dire ici coïncident.
Il arrive parfois, et c'est le troisième niveau du témoignage, que le témoin scelle son attachement à la cause qu'il défend par une profession publique de sa conviction intérieure qui peut aller jusqu'au sacrifice de sa vie. Cette confession, la plupart du temps, se fait dans un contexte d'hostilité, de haine, de la part de ceux qui ne partagent pas la même cause. Quand le témoin meurt ainsi pour appuyer son témoignage, il devient martyr, c'est à dire encore un témoin.
Le témoignage comme voie d'accès au mystère des personnes.
Lorsque le témoin s'engage tout entier, par sa parole ou son action, il se dit lui-même, dans la plénitude de son existence libre. Dès lors, le témoignage acquiert une profondeur et une dignité singulières, quand il a pour objet le mystère intime de l'être personnel. A ce niveau, plus que dans un procès, le témoin ne fait qu'un avec ce qu'il dit. La personne se veut présente et transparente à l'auditeur, dans la vérité de son mystère intérieur.
En effet lorsque nous quittons l'univers des choses matérielles pour accéder au niveau des personnes, nous quittons le monde de l'évidence pour entrer dans celui du témoignage. A ce niveau, l'idéal scientifique, qui ne règne au surplus que sur l'un des foyers de la réflexion humaine, ne vaut plus.
Au niveau de l'intersubjectivité, qui est celui des personnes, nous nous heurtons au mystère. En effet, les personnes ne sont pas des problèmes qui se laissent enfermer dans des formules et résoudre dans une équation. Nous n'avons d'accès à l'intimité personnelle que par le libre témoignage de la personne sur elle-même, par une confidence qui est proprement une révélation, un dévoilement de son mystère intérieur. Dire que le témoignage est un type inférieur de connaissance, parce qu'il ne produit que des probabilités et non des certitudes, et parce qu'il échappe aux normes d'un certain idéal scientifique, serait donc manifester une déplorable ignorance de la question.
La connaissance par témoignage n'est inférieure que là où, par suite de la nature de l'objet étudié, nous sommes capables d'arriver à une connaissance directe et immédiate du réel; mais elle n'est pas inférieure lorsqu'il s'agit de ces réalités que sont les personnes où le témoignage est la seule façon d'entrer en union avec la personne et de participer à son mystère.
Le témoignage appartient au mystère de la liberté.
Parce qu'humaine, cette liberté, sans doute, est-elle fragile et toujours menacée. Seul Dieu peut donner à sa parole une garantie absolue, à cause de son identité éternelle et absolue avec lui-même. L'expérience humaine, de fait, nous renseigne sur la multiplicité des erreurs involontaires, même chez les êtres les plus authentiques. Et pourtant, en dépit de ces risques, le témoignage appartient à la grandeur et à la dignité de la personne. Il la fait participer à l'autonomie et à la liberté même de Dieu.
Il subsiste dans le témoignage une solitude dont le témoin lui-même ne saurait s'affranchir, et qui le rend vulnérable, exposé au refus. Même en Jésus, chez qui l'expérience qu'il a de son identité de Fils du Père donne à sa parole certitude et valeur absolues, le témoignage n'est pas assuré de recevoir l'accueil qu'il mérite, ce témoignage fût-il signé de son sang.
C'est que le témoignage, enraciné au coeur de la liberté humaine, fait appel à la liberté de celui qui le reçoit. Tandis que la démonstration fait d'abord appel à l'intelligence, le témoignage engage aussi, à des degrés divers, la volonté et l'amour. Il fait appel à la confiance : une confiance plus ou moins profonde, qui se mesure à l'importance de l'objet attesté et des valeurs risquées sur la parole. Déjà, lorsqu'un personne recourt au témoignage pour s'exprimer, elle fait appel à la confiance et promet, au moins implicitement, d'être sincère et vraie. Et, d'autre part, accueillir le témoignage de quelqu'un comme vérité, c'est déjà lui faire confiance, car c'est passer de l'autonomie à l'hétéronomie, c'est renoncer à soi pour s'en remettre à autrui.
La possibilité d'un commerce entre les hommes repose même en définitive sur cette confiance réclamée par le témoin et sur la promesse, tacitement faite par lui, de ne pas la trahir. D'une part, donc, engagement moral du témoin, et, d'autre part, confiance, qui est déjà amorce d'amour, de celui qui adhère au témoignage. Envisagé du côté de l'auditeur aussi bien que du côté du témoin, le témoignage reste un fait moral encore plus qu'un fait mental."
Source : René Latourelle sj, Quête de sens et don du sens, Novalis, 1995, p,122
Et à propos de témoignage ...
[color=#0000BF]"A son degré le plus faible, témoigner signifie rapporter ce qu'on a vu et entendu. [...] Le témoignage repose alors sur une expérience oculaire ou auriculaire. Le contexte le plus fréquent de ce type de témoignage est celui d'un procès. Déjà, à ce premier niveau, la foi au témoignage réclame une certaine démission de la raison et une certaine confiance, car la parole du témoin devient, pour celui qui n'a pas vu ni entendu, substitut de l'expérience elle-même.
En raison de ce contexte judiciaire, le témoignage n'a pas simple valeur d'information : c'est un récit en vue d'un jugement à porter sur des événements, sur les motifs d'un acte, sur le caractère d'une personne. Le témoignage est destiné à influer sur les jurés et sur le juge, qui s'appuient sur lui, comme sur un argument, pour penser, évaluer, décider. C'est pourquoi le récit du témoin, plus qu'un fait mental est un fait moral : une déposition à laquelle le serment confère une gravité particulière. Témoigner, dans un procès, c'est se déclarer en faveur de quelqu'un ou contre quelqu'un. Il ne s'agit pas simplement de raconter ou de décrire, à la manière d'un journaliste, mais de s'engager soi-même, en pleine liberté, et de porter un jugement de valeur.
Nous arrivons ainsi au second niveau du témoignage, celui où le témoin s'engage tout entier dans sa parole, se compromet pour elle. Ainsi, dans un témoignage qui met en cause la vie de quelqu'un, le témoin non seulement exprime une conviction intime sur l'innocence ou la culpabilité de l'accusé, mais il se compromet tout entier dans sa déposition. En termes équivalents, il dit : "Je déclare cette personne innocente : nier cette innocence serait me renier moi-même". L'être et le dire ici coïncident.
Il arrive parfois, et c'est le troisième niveau du témoignage, que le témoin scelle son attachement à la cause qu'il défend par une profession publique de sa conviction intérieure qui peut aller jusqu'au sacrifice de sa vie. Cette confession, la plupart du temps, se fait dans un contexte d'hostilité, de haine, de la part de ceux qui ne partagent pas la même cause. Quand le témoin meurt ainsi pour appuyer son témoignage, il devient martyr, c'est à dire encore un témoin.
[b]Le témoignage comme voie d'accès au mystère des personnes. [/b]
Lorsque le témoin s'engage tout entier, par sa parole ou son action, il se dit lui-même, dans la plénitude de son existence libre. Dès lors, le témoignage acquiert une profondeur et une dignité singulières, quand il a pour objet le mystère intime de l'être personnel. A ce niveau, plus que dans un procès, le témoin ne fait qu'un avec ce qu'il dit. La personne se veut présente et transparente à l'auditeur, dans la vérité de son mystère intérieur.
En effet lorsque nous quittons l'univers des choses matérielles pour accéder au niveau des personnes, nous quittons le monde de l'évidence pour entrer dans celui du témoignage. A ce niveau, l'idéal scientifique, qui ne règne au surplus que sur l'un des foyers de la réflexion humaine, ne vaut plus.
Au niveau de l'intersubjectivité, qui est celui des personnes, nous nous heurtons au mystère. En effet, les personnes ne sont pas des problèmes qui se laissent enfermer dans des formules et résoudre dans une équation. Nous n'avons d'accès à l'intimité personnelle que par le libre témoignage de la personne sur elle-même, par une confidence qui est proprement une révélation, un dévoilement de son mystère intérieur. Dire que le témoignage est un type inférieur de connaissance, parce qu'il ne produit que des probabilités et non des certitudes, et parce qu'il échappe aux normes d'un certain idéal scientifique, serait donc manifester une déplorable ignorance de la question.
La connaissance par témoignage n'est inférieure que là où, par suite de la nature de l'objet étudié, nous sommes capables d'arriver à une connaissance directe et immédiate du réel; mais elle n'est pas inférieure lorsqu'il s'agit de ces réalités que sont les personnes où le témoignage est la seule façon d'entrer en union avec la personne et de participer à son mystère.
Le témoignage appartient au mystère de la liberté.
Parce qu'humaine, cette liberté, sans doute, est-elle fragile et toujours menacée. Seul Dieu peut donner à sa parole une garantie absolue, à cause de son identité éternelle et absolue avec lui-même. L'expérience humaine, de fait, nous renseigne sur la multiplicité des erreurs involontaires, même chez les êtres les plus authentiques. Et pourtant, en dépit de ces risques, le témoignage appartient à la grandeur et à la dignité de la personne. Il la fait participer à l'autonomie et à la liberté même de Dieu.
Il subsiste dans le témoignage une solitude dont le témoin lui-même ne saurait s'affranchir, et qui le rend vulnérable, exposé au refus. Même en Jésus, chez qui l'expérience qu'il a de son identité de Fils du Père donne à sa parole certitude et valeur absolues, le témoignage n'est pas assuré de recevoir l'accueil qu'il mérite, ce témoignage fût-il signé de son sang.
C'est que le témoignage, enraciné au coeur de la liberté humaine, fait appel à la liberté de celui qui le reçoit. Tandis que la démonstration fait d'abord appel à l'intelligence, le témoignage engage aussi, à des degrés divers, la volonté et l'amour. Il fait appel à la confiance : une confiance plus ou moins profonde, qui se mesure à l'importance de l'objet attesté et des valeurs risquées sur la parole. Déjà, lorsqu'un personne recourt au témoignage pour s'exprimer, elle fait appel à la confiance et promet, au moins implicitement, d'être sincère et vraie. Et, d'autre part, accueillir le témoignage de quelqu'un comme vérité, c'est déjà lui faire confiance, car c'est passer de l'autonomie à l'hétéronomie, c'est renoncer à soi pour s'en remettre à autrui.
La possibilité d'un commerce entre les hommes repose même en définitive sur cette confiance réclamée par le témoin et sur la promesse, tacitement faite par lui, de ne pas la trahir. D'une part, donc, engagement moral du témoin, et, d'autre part, confiance, qui est déjà amorce d'amour, de celui qui adhère au témoignage. Envisagé du côté de l'auditeur aussi bien que du côté du témoin, le témoignage reste un fait moral encore plus qu'un fait mental."
Source : [b]René Latourelle[/b] sj, [u]Quête de sens et don du sens[/u], Novalis, 1995, p,122[/color]