Bonjour à tous,
Je remercie tous ceux qui par leur intervention érudite ou plus personnelle ont apporté des éléments de réponses à la question posée. Toutefois, il me semble que nous avons dévié de la question initiale et que nous n'avons pas vraiment abordé le coeur du problème.
Jusque-là nous nous sommes interrogés sur
l'origine du Mal dans la Création. Chacun s'accorde ici à penser que le Mal ne peut pas venir de Dieu. Et pour cause ! Comment Dieu qui est Amour, qui est suprême bonté, pourrait-il être à l'origine du Mal ? Cela semble absolument contradictoire (sauf à introduire la négativité en Dieu) !...
Je me contenterais alors de laisser cette question ouverte puisque personne n'y a véritablement répondu : "comment le plus parfait des anges a-t-il pu se pervertir en raison de sa propre perfection ?! comment la nature angélique de Satan a-t-elle pu se corrompre d'elle-même ?" Certains me répondront peut-être que c'est là le mystère insondable du Mal. Soit, mais cette réponse ne me satisfait pas.
Passons alors au deuxième aspect de la question, qui est celui de
l'omniscience Dieu en toute éternité. Je pense que vous conviendrez que Dieu est l'Etre incréé et qu'Il existe de toute éternité. Dieu est hors du temps. Par conséquent, l'intelligence de Dieu ne saurait être soumise au temps : Il connaît le passé, le présent et le futur. Tout ce qui est, tout ce qui fut, tout ce qui sera appartient à la connaissance de Dieu. Il n'est donc pas possible que Dieu ignore les conséquences de nos actes. Si Dieu est hors du temps, Il ne peut pas ne pas savoir ce qu'il advient de l'homme dans la tentation.
Je m'explique : Dieu ne pouvait pas ne pas savoir que l'homme désobéirait à l'ordre qu'il lui avait été donné. Encore une fois,
je ne nie pas la liberté humaine : l'homme avait le choix. Le Serpent ne pouvait le contraindre à transgresser l'interdit. C'est par orgueil que l'homme a désobéi à l'ordre divin, mais l'homme pouvait renoncer à son orgueil (je ne reviens pas sur l'analyse que j'ai fait précédemment de l'orgueil comme amour de soi sans amour de Dieu). Donc l'homme a choisi
librement de transgresser l'interdit divin, mais Dieu ne pouvait ignorer qu'il succomberait à la Tentation. Car de deux choses l'une : ou bien Dieu ignorait qu'en donnant la liberté à l'homme, celui-ci se laisserait tenter par le Serpent ; ou bien l'intelligence de Dieu est hors du temps, et Il ne pouvait ignorer que l'homme succomberait à la Tentation. Je préfère penser que Dieu est hors du temps et que son intelligence n'est pas soumise à la temporalité des événements. Mais il faut alors être conséquent :
Dieu ne pouvait pas ne pas savoir qu'en donnant à l'homme le libre-arbitre celui-ci transgresserait l'interdit qui lui avait été fait.
D'où ma question initiale :
Dieu n'est-il pas un peu pervers ?
Comment affirmer d'un côté que Dieu est Amour et de l'autre que Dieu est omniscient (qu'il savait que l'homme ferait un mauvais usage de sa liberté) ? Je ne crois pas que cette question soit anodine et que l'on peut se permettre d'y répondre par un simple appel à la foi (laquelle serait alors aveugle) ou par l'impénétrabilité des voies de Dieu. Car, ce qui se joue dans cet épisode du péché originel, c'est la question de la condition humaine, de sa misère, de sa souffrance, de son désespoir.
Bien à vous. :twisted:
PS1. Je réponds ici à une remarque de Zef :
satan s'est exterminé lui-même en se rebellant contre son Créateur
Cette explication me paraît assez obscure. Peut-être voulez-vous dire qu'en s'opposant à Dieu, Satan s'est séparé de Dieu et perd par là même sa propre dignité ontologique. Comment Satan pourrait-il subsister par lui-même puisqu'il ne contient pas en lui-même son propre principe ? L'argument formulé en ces termes est intéressant, mais il revient à nier l'existence du Mal. Je préfère avancer une autre hypothèse (que j'ai évoqué dans un de mes précédents messages) : Satan se nourrit de sa propre haine. Satan subsiste dans sa propre négativité par la haine de soi. Aussi la victoire du Christ sur Satan est-elle la victoire de l'amour sur la haine dans le coeur de l'homme.
pour Dieu il n'y a ni passé ni futur, mais il est l'Eternel Présent, Le Vivant par excellence.
Cette fois-ci, tout à fait d'accord. Ce qui nous ramène à la question centrale.
PS2. Je réponds cette fois-ci à l'intervention de Charles
Le Mal dont vous parlez est métaphysique et ne devient moral et théologique que sous l'effet de l'orgueil.
Je suis d'accord avec vous. Mais il faudrait préciser cette distinction : comment distinguer le Mal moral du Mal métaphysique ? Et qu'entendez-vous par Mal théologique ? Il me semble que le Mal moral est la désobéissance de la Loi de Dieu. Avant de goûter du fruit de la connaissance, l'homme ne savait pas ce qui est "bien" et ce qui est "mal", mais il savait ce qui est "permis" et ce qui est "interdit". Ce n'est pas tant d'avoir goûté au fruit de l'arbre qui est un "mal" que d'avoir transgressé un interdit. Quant au Mal métaphysique, il est incarné par la figure du Serpent dont la fonction dans le récit est de séparer l'amour de Dieu en Soi de l'amour de soi sans Dieu.
La créature ne peut qu'aspirer à l'éternité, seulement le mal moral et théologique, pour elle, c'est d'obtenir cette éternité hors de la relation à Dieu, hors de l'amour. Dieu a créé l'homme, sa créature est finie et mortelle, mais il veut la combler d'être, par l'amour et dans l'amour qu'il lui porte, en se donnant à elle.
Je ne suis pas certain que l'homme dans le jardin d'Eden aspire à l'éternité. Rien ne dit que la nature du premier homme était celle d'être mortel. Au contraire, la mort apparaît comme un châtiment divin : "tu mangeras ton pain, jusqu'à ce que tu retournes au sol. Car tu es glaise et tu retourneras à la glaise" (3, 19).
L'homme n'a pas à connaître le bien et le mal, c'est-à-dire se regarder le nombril, sa limite, sa naissance et sa mort, sa condition de créature, mais à aimer Dieu. Quand l'homme connaît, regarde, contemple le bien et le mal : il se regarde lui-même, un être fini et limité. Mais s'il pense qu'il peut rester avec lui-même, comme Dieu demeure en lui-même, il se trompe, l'homme se perd doublement s'il pense se conserver tout seul. C'est quand il est tourné vers Dieu, vers un autre, qu'il accède à l'éternité. Il perd l'autre et il se perd lui-même en mourant. Pour moi, le récit de la Genèse dit cela : que l'homme est si profondément créé pour l'amour, pour recevoir sa plénitude d'un autre (qui est Dieu), qu'il meurt de se détourner de lui.
Je suis assez d'accord avec vous cette fois-ci. Quand l'homme a goûté du fruit, il éprouve de la honte à cause de sa propre nudité et se dérobe au regard de Dieu. Je ne crois pas qu'il y ait ici d'allusion à la sexualité (contrairement à une mauvaise interprétation et trop littérale). La nudité de l'homme, comme vous le dîtes, c'est son statut de créature qui ne saurait exister par elle-même. L'homme découvre sa propre misère, misère de l'homme sans Dieu. En découvrant sa propre nudité, l'homme prend conscience qu'il a fauté, qu'il n'est rien sans Dieu, que l'amour de soi est l'amour d'une image et non point le véritable amour qui est amour de Dieu lui-même.
PS3. Je réponds enfin à la remarque faite par Montségur :
Et la genése de son coté n'a jamais été conçu je pense pour entrer en contact avec la raison et la philosophie. Elle reste et restera sources de mystéres.
C'est vrai. Mais que serait devenue l'exégèse biblique sans la rencontre avec la philosophie grecque ? La théologie eut-elle seulement existé sans les schèmes conceptuels du néoplatonisme ? N'est-ce pas rejeter toute la tradition que de considérer que la Genèse est inaccessible à l'intelligence humaine et à la raison ?
L'incapacité du livre à définir clairement une origine du Mal (même avec les symboles) s'est heurté à la raison (et se heurte toujours).
Donc ma réponse à la question originale
"Ne sommes nous pas en train de faire la même erreur que les grecs ?"
Je ne pense pas qu'interpréter le texte biblique à la lumière de la raison soit une "erreur". N'y a-t-il pas au contraire une certaine complaisance dans le "mystère" qui nous rend intellectuellement paresseux ? Comment convaincre ceux qui doutent ou ceux qui ne croient pas si la foi reste aveugle à sa propre vérité ?
:twisted: