par Cinci » mar. 24 août 2010, 4:46
Je présume que les volumes de J.P. Meier vont tous être mis en dépôt dans les bibliothèques de tout bon séminaire qui se respecte, comme en gage de la formation intellectuelle des futurs prêtres.
En tout cas il dit une chose intéressante et l'on pourrait dire en préalable à son ouvrage :
... pourquoi consacrer tant de temps et tant d'efforts à la recherche d'un Jésus hypothétique dont les contours demeurent si flous ?
Cela peut sembler étrange, mais ce genre de réticence vis à vis de la recherche se rencontre beaucoup plus souvent chez des chrétiens engagés que chez des agnostiques ou des chrétiens «en marge des Églises». Ces deux derniers groupes sont habituellement stimulés par la curiosité intellectuelle que l'on éprouve du dehors, ne serait-ce que pour se justifier d'être ''en-dehors''. L'agnostique ou l'humaniste laïque est très habitué à analyser toutes les opinions, d'où qu'elles viennent et aussi étranges qu'elles soient; par conséquent, cela ne les dérange pas d'analyser des données et des interprétations concernant Jésus.
C'est plutôt le croyant convaincu qui a souvent le sentiment que cette recherche est, au mieux, une perte de temps et, au pire, une menace pour la foi. Il est surprenant de retrouver dans ce même camp des gens aussi différents que des bultmanniens rigoureux et des fondamentalistes invétérés. Pour des raisons opposées, ils en viennent à la même conclusion : la recherche du Jésus historique est sans intérêt ou même nuisible pour la véritable foi chrétienne. Le bultmannien rigoureux estime que cette recherche est à la fois théologiquement illégitime et historiquement impossible. Au plan théologique, elle donne aux chrétiens la tentation de vouloir prouver leur foi par une érudition toute humaine, ce qui est une nouvelle forme de justification par les oeuvres. Au plan historique, les sources sont tout simplement trop minces, trop fragmentaires et trop marquées théologiquement pour permettre d'établir un véritable portrait de Jésus. Les fondamentalistes [...] pour une raison tout à fait opposée : ils prennent naïvement le Jésus présenté par les quatre évangiles pour le Jésus historique.
... dans le cadre historico-critique, le réel a été défini - et doit être défini - en fonction de ce qui peut être expérimenté en principe par tout observateur et en fonction des déductions ou conclusions que l'on peut raisonnablement tirer de cette expérience. Mais la foi et la théologie chrétienne affirme l'existence de réalités ultimes qui sont au-delà de ce qui est strictement empirique ou accessible par la raison : par exemple le Dieu trinitaire et le Jésus ressuscité. Par conséquent, s'interroger sur la relation entre le Jésus historique, reconstruit à partir de la recherche historique moderne, et le Jésus ressuscité revient à passer du domaine strictement expérimental ou rationnel au cadre plus large de la foi et de la théologie, sachant que la foi et la théologie ont besoin de se situer par rapport à la démarche historico-critique.
... le Jésus de l'histoire n'est pas et ne peut pas être l'objet de la foi chrétienne. Il suffit de réfléchir un instant pour montrer quelles en sont les raisons. Durant plus de quinze siècles, les chrétiens ont cru fermement en Jésus-Christ sans avoir d'idées précises sur le Jésus historique tel qu'on le comprend aujourd'hui et sans avoir d'accès à ce type de connaissances; et pourtant personne ne conteste la validité ni la force de leur foi. On peut en dire autant d'un grand nombre de chrétiens sincères vivant aujourd'hui dans des pays développés ou en voie de développement. Et pourtant, même si tous les chrétiens étaient familiarisés avec les concepts et la recherche concernant le Jésus historique, l'Église ne pourrait toujours pas faire du Jésus historique l'objet de sa prédication et de sa foi. La raison en est évidente : lequel de tous ces Jésus historiques serait l'objet de la foi ? Celui d'Albert Sweitzer ? ou celui d'Eduard Schweizer ? Celui de Herbert Braun ou celui de Joachim Jérémias ? Celui de Günter Bornkamm ou celui de E.P. Sanders ? Le Jésus violent révolutionnaire ou le Jésus magicien homosexuel ? Le Jésus voyant apocalyptique ou le Jésus maître de sagesse et peu soucieux d'eschatologie ? Les portraits sans cesse changeants et souvent contradictoires du Jésus historique proposés par les spécialistes, quel que soit leur utilité pour la recherche, ne peuvent constituer l'objet de la foi chrétienne pour l'Église universelle.
En outre, et c'est là le plus important, le véritable objet de la foi chrétienne n'est pas et ne peut pas être une idée ou une reconstruction intellectuelle, aussi fiable soit-elle. Pour le croyant, l'objet de la foi chrétienne est une personne vivante, Jésus Christ, qui s'est engagé totalement dans une véritable existence humaine terrestre, au Ier siècle de notre ère, mais qui vit désormais ressuscité et glorifié, auprès du Père à jamais.
En premier lieu, c'est cette personne vivante que proclame la foi chrétienne et à laquelle elle adhère, une personne incarnée, crucifiée et ressuscitée; et c'est seulement en second lieu qu'elle adhère aux idées et aux affirmations concernant le personnage de Jésus. Au plan de la foi et de la théologie, le Jésus réel, le seul vrai Jésus existant et vivant maintenant est ce Seigneur ressuscité; et seule la foi nous permet de l'atteindre.
Mais alors se lève une objection : quel est donc alors l'intérêt du Jésus historique pour les gens qui ont la foi ? Ma réponse est simple : aucun, si l'on envisage uniquement l'objet direct de la foi chrétienne, Jésus Christ, crucifié, ressuscité, qui règne aujourd'hui dans son Église. Ce Seigneur qui règne aujourd'hui peut être connu de toutes les personnes croyantes, y compris de toutes celles qui ne passeront pas une seule journée de leur vie à étudier l'histoire ou la théologie. Pourtant, je soutiens que la recherche du Jésus historique peut être utile si on veut une foi qui cherche à comprendre, une foi en quête d'intelligence, autrement si on veut faire de la théologie dans un contexte contemporain. La théologie des périodes patristique et médiévale vivait dans la plus parfaite ignorance du problème du Jésus historique, car elle fonctionnait dans un contexte culturel où n'existait pas l'approche historico-critique qui marque nos esprits occidentaux modernes. La théologie est un produit culturel; depuis l'époque des Lumières, notre culture occidentale se trouve imprégnée par l'approche historico-critique; par conséquent, pour être crédible, la théologie peut fonctionner dans cette culture et avoir quelque chose à lui dire uniquement si elle intègre dans sa méthodologie une approche historique.
Quand la théologie s'approprie cette recherche, elle ne tombe pas dans l'idolâtrie de quelque engouement passager; bien au contraire, elle sert les intérêts de la foi au moins de quatre manières différentes :
1) Il existe des démarches qui visent à réduire la foi au Christ à un message codé dépourvu de contenu, à un symbole mythique ou à un archétype intemporel. La recherche du Jésus historique s'oppose à de telles démarches en rappelant aux chrétiens que la foi au Christ n'est pas simplement une vague attitude existentielle ou une manière d'être dans le monde. [...]
2) Il existe aujourd'hui des chrétiens sincères qui ont un penchant faussement mystique ou docétique : ils ont tendance à gommer la réalité humaine de Jésus en se targuant d'orthodoxie pour insister sur sa divinité [...] La recherche lutte contre cette tendance, en affirmant que le Jésus ressuscité est bien la même personne que ce juif qui a vécu et qui est mort en Pälestine au Ier siècle, une personne vraiment et pleinement humaine comme n'importe quel être humain, avec toutes les limites contraignantes que cela implique.
3) Il existe des démarches qui tendent à domestiquer Jésus au service d'un christianisme confortable, respectable et bourgeois. Dès qu'elle s'est mise en place, la recherche du Jésus historique a eu tendance à contrer ce penchant en soulignant le côté dérangeant et non conformiste de Jésus. [...]
4) Mais, pour ne pas laisser croire que l'utilisation du Jésus historique va toujours dans le même sens, il est bon de souligner que, contrairement aux affirmations de Reimarus et de beaucoup d'autres après lui, le Jésus historique ne se laisse pas non plus récupérer facilement au service de progrmmes politiques révolutionnaires. Par comparaison avec les prophètes classiques d'Israël, le Jésus historique est remarquablement silencieux sur de nombreux sujets sociaux et politiques brûlants de son époque. Pour faire de lui un révolutionnaire politique de ce monde, il faut déformer les données exégétiques ou forcer l'argumentation. Tout comme la bonne sociologie, le Jésus historique subvertit non seulement certaines idéologies mais toutes les idéologies, y compris la théologie de la libération.
[...]
Le Jésus historique est finalement utile pour la théologie en ce qu'il échappe à tout nos admirables projets théologiques; il les remet tous en question en refusant d'entrer dans les cases que nous lui préparons.
- Idid., p.119-122
Je présume que les volumes de J.P. Meier vont tous être mis en dépôt dans les bibliothèques de tout bon séminaire qui se respecte, comme en gage de la formation intellectuelle des futurs prêtres.
En tout cas il dit une chose intéressante et l'on pourrait dire en préalable à son ouvrage :
[color=#808000]... pourquoi consacrer tant de temps et tant d'efforts à la recherche d'un Jésus hypothétique dont les contours demeurent si flous ?
Cela peut sembler étrange, mais ce genre de réticence vis à vis de la recherche se rencontre beaucoup plus souvent chez des chrétiens engagés que chez des agnostiques ou des chrétiens «en marge des Églises». Ces deux derniers groupes sont habituellement stimulés par la curiosité intellectuelle que l'on éprouve du dehors, ne serait-ce que pour se justifier d'être ''en-dehors''. L'agnostique ou l'humaniste laïque est très habitué à analyser toutes les opinions, d'où qu'elles viennent et aussi étranges qu'elles soient; par conséquent, cela ne les dérange pas d'analyser des données et des interprétations concernant Jésus.
C'est plutôt le croyant convaincu qui a souvent le sentiment que cette recherche est, au mieux, une perte de temps et, au pire, une menace pour la foi. Il est surprenant de retrouver dans ce même camp des gens aussi différents que des bultmanniens rigoureux et des fondamentalistes invétérés. Pour des raisons opposées, ils en viennent à la même conclusion : la recherche du Jésus historique est sans intérêt ou même nuisible pour la véritable foi chrétienne. Le bultmannien rigoureux estime que cette recherche est à la fois théologiquement illégitime et historiquement impossible. Au plan théologique, elle donne aux chrétiens la tentation de vouloir prouver leur foi par une érudition toute humaine, ce qui est une nouvelle forme de justification par les oeuvres. Au plan historique, les sources sont tout simplement trop minces, trop fragmentaires et trop marquées théologiquement pour permettre d'établir un véritable portrait de Jésus. Les fondamentalistes [...] pour une raison tout à fait opposée : ils prennent naïvement le Jésus présenté par les quatre évangiles pour le Jésus historique.
... dans le cadre historico-critique, le réel a été défini - [i]et doit être défini[/i] - en fonction de ce qui peut être expérimenté en principe par tout observateur et en fonction des déductions ou conclusions que l'on peut raisonnablement tirer de cette expérience. Mais la foi et la théologie chrétienne affirme l'existence de réalités ultimes qui sont au-delà de ce qui est strictement empirique ou accessible par la raison : par exemple le Dieu trinitaire et le Jésus ressuscité. Par conséquent, s'interroger sur la relation entre le Jésus historique, reconstruit à partir de la recherche historique moderne, et le Jésus ressuscité revient à passer du domaine strictement expérimental ou rationnel au cadre plus large de la foi et de la théologie, sachant que la foi et la théologie ont besoin de se situer par rapport à la démarche historico-critique.
... le Jésus de l'histoire n'est pas et ne peut pas être l'objet de la foi chrétienne. Il suffit de réfléchir un instant pour montrer quelles en sont les raisons. Durant plus de quinze siècles, les chrétiens ont cru fermement en Jésus-Christ sans avoir d'idées précises sur le Jésus historique tel qu'on le comprend aujourd'hui et sans avoir d'accès à ce type de connaissances; et pourtant personne ne conteste la validité ni la force de leur foi. On peut en dire autant d'un grand nombre de chrétiens sincères vivant aujourd'hui dans des pays développés ou en voie de développement. Et pourtant, même si tous les chrétiens étaient familiarisés avec les concepts et la recherche concernant le Jésus historique, l'Église ne pourrait toujours pas faire du Jésus historique l'objet de sa prédication et de sa foi. La raison en est évidente : lequel de tous ces Jésus historiques serait l'objet de la foi ? Celui d'Albert Sweitzer ? ou celui d'Eduard Schweizer ? Celui de Herbert Braun ou celui de Joachim Jérémias ? Celui de Günter Bornkamm ou celui de E.P. Sanders ? Le Jésus violent révolutionnaire ou le Jésus magicien homosexuel ? Le Jésus voyant apocalyptique ou le Jésus maître de sagesse et peu soucieux d'eschatologie ? Les portraits sans cesse changeants et souvent contradictoires du Jésus historique proposés par les spécialistes, quel que soit leur utilité pour la recherche, ne peuvent constituer l'objet de la foi chrétienne pour l'Église universelle.
En outre, et c'est là le plus important, le véritable objet de la foi chrétienne n'est pas et ne peut pas être une idée ou une reconstruction intellectuelle, aussi fiable soit-elle. Pour le croyant, l'objet de la foi chrétienne est une personne vivante, Jésus Christ, qui s'est engagé totalement dans une véritable existence humaine terrestre, au Ier siècle de notre ère, mais qui vit désormais ressuscité et glorifié, auprès du Père à jamais.
En premier lieu, c'est cette personne vivante que proclame la foi chrétienne et à laquelle elle adhère, une personne incarnée, crucifiée et ressuscitée; et c'est seulement en second lieu qu'elle adhère aux idées et aux affirmations concernant le personnage de Jésus. Au plan de la foi et de la théologie, le Jésus réel, le seul vrai Jésus existant et vivant maintenant est ce Seigneur ressuscité; et seule la foi nous permet de l'atteindre.
Mais alors se lève une objection : quel est donc alors l'intérêt du Jésus historique pour les gens qui ont la foi ? Ma réponse est simple : aucun, si l'on envisage uniquement l'objet direct de la foi chrétienne, Jésus Christ, crucifié, ressuscité, qui règne aujourd'hui dans son Église. Ce Seigneur qui règne aujourd'hui peut être connu de toutes les personnes croyantes, y compris de toutes celles qui ne passeront pas une seule journée de leur vie à étudier l'histoire ou la théologie. Pourtant, je soutiens que la recherche du Jésus historique peut être utile si on veut une foi qui cherche à comprendre, une foi en quête d'intelligence, autrement si on veut faire de la théologie dans un contexte contemporain. La théologie des périodes patristique et médiévale vivait dans la plus parfaite ignorance du problème du Jésus historique, car elle fonctionnait dans un contexte culturel où n'existait pas l'approche historico-critique qui marque nos esprits occidentaux modernes. La théologie est un produit culturel; depuis l'époque des Lumières, notre culture occidentale se trouve imprégnée par l'approche historico-critique; par conséquent, pour être crédible, la théologie peut fonctionner dans cette culture et avoir quelque chose à lui dire uniquement si elle intègre dans sa méthodologie une approche historique.
Quand la théologie s'approprie cette recherche, elle ne tombe pas dans l'idolâtrie de quelque engouement passager; bien au contraire, elle sert les intérêts de la foi au moins de quatre manières différentes :
1) Il existe des démarches qui visent à réduire la foi au Christ à un message codé dépourvu de contenu, à un symbole mythique ou à un archétype intemporel. La recherche du Jésus historique s'oppose à de telles démarches en rappelant aux chrétiens que la foi au Christ n'est pas simplement une vague attitude existentielle ou une manière d'être dans le monde. [...]
2) Il existe aujourd'hui des chrétiens sincères qui ont un penchant faussement mystique ou docétique : ils ont tendance à gommer la réalité humaine de Jésus en se targuant d'orthodoxie pour insister sur sa divinité [...] La recherche lutte contre cette tendance, en affirmant que le Jésus ressuscité est bien la même personne que ce juif qui a vécu et qui est mort en Pälestine au Ier siècle, une personne vraiment et pleinement humaine comme n'importe quel être humain, avec toutes les limites contraignantes que cela implique.
3) Il existe des démarches qui tendent à domestiquer Jésus au service d'un christianisme confortable, respectable et bourgeois. Dès qu'elle s'est mise en place, la recherche du Jésus historique a eu tendance à contrer ce penchant en soulignant le côté dérangeant et non conformiste de Jésus. [...]
4) Mais, pour ne pas laisser croire que l'utilisation du Jésus historique va toujours dans le même sens, il est bon de souligner que, contrairement aux affirmations de Reimarus et de beaucoup d'autres après lui, le Jésus historique ne se laisse pas non plus récupérer facilement au service de progrmmes politiques révolutionnaires. Par comparaison avec les prophètes classiques d'Israël, le Jésus historique est remarquablement silencieux sur de nombreux sujets sociaux et politiques brûlants de son époque. Pour faire de lui un révolutionnaire politique de ce monde, il faut déformer les données exégétiques ou forcer l'argumentation. Tout comme la bonne sociologie, le Jésus historique subvertit non seulement certaines idéologies mais toutes les idéologies, y compris la théologie de la libération.
[...]
Le Jésus historique est finalement utile pour la théologie en ce qu'il échappe à tout nos admirables projets théologiques; il les remet tous en question en refusant d'entrer dans les cases que nous lui préparons.
- Idid., p.119-122 [/color]